Le Soldat Continental (part2)
Ancien Capitaine de l’armée du grand Frédéric II de Prusse, Von STEUBEN mit sur pied une compagnie modèle et lui enseigna une version simplifiée du drill européen. Peu à peu, l’ensemble des troupes, imitant les démonstrations de la compagnie-modèle, apprit à marcher au pas, à évoluer en rangs serrés, à tirer par salves au commandement après avoir chargé ses armes selon une méthode plus simple, etc
L’infatigable Von STEUBEN forma un solide corps d’officiers, leur inculquant l’autorité mais aussi le respect et la sollicitude envers leurs soldats. Fait extraordinaire, ce jovial Prussien dont l’anglais se limitait à quelques blasphèmes
réussit à fléchir le farouche individualisme du soldat américain. Le « Blue Book » concernant l’ordre et la discipline des troupes des Etats-Unis, une compilation simplifiée de divers manuels d’instruction européens, devint le manuel officiel de toute l’armée. Il influence encore l’armée américaine d’aujourd’hui.
En Mai 1778, le Congrès adopta un nouveau type de bataillon à 8 compagnies de 53 hommes et décida l’adjonction d’une compagnie légère à chaque régiment.
Entre 1777 et 1778, les efforts pour vêtir le soldat s’étaient avérés vains, et bien heureux celui qui avait pu se procurer un « buckskin », le costume de chasseur recommandé par Washington depuis 1776, qui conférait à son porteur « l’apparence d’un tireur d’élite ». Quelques envois de vêtements et de fournitures militaires étaient bien parvenus de France, en échange de ballots de tabac qui n’arrivèrent jamais et provoquèrent la faillite de l’étonnant Beaumarchais, mais il est évident que cela ne pouvait suffire et que l’ensemble des troupes révolutionnaires continua d’offrir une allure déconcertante.
Sur le plan des opérations, l’entrée en guerre de la France obligea les Anglais à abandonner Philadelphie et Washington tenta de contrarier la retraite ennemie.
Les enseignements de Von STEUBEN permirent aux Américains de livrer honorablement leurs premiers combats à la baïonnette, mais l’ennemi s’échappa après le dur engagement de Monmouth.
C’est encore à la baïonnette que les troupes légères du général Wayne, surnommé « Mad Anthony » - Antoine le fou – enlevèrent Stony Point, illustrant l’excellence des enseignements de Von STEUBEN.
Quoique parfaitement conscient des difficultés, Washington avait inlassablement cherché à vêtir ses troupes d’un uniforme digne de ce nom.
Mais entre les belles ordonnances et leur réalisation, il a toujours existé une marge, et dans ce cas-ci elle était énorme. La France avait fourni au moins trente mille uniformes entre 1776 et 1778, mais combien étaient parvenus aux intéressés ?
Comme partout ailleurs, les profiteurs de guerre avaient surgi, détournant les arrivages de drap étranger pour ne le revendre qu’à des prix astronomiques. Les agents intègres, de leur côté, manquaient la plupart du temps des moyens de transport nécessaires, tandis que le patriote faisait le coup de feu et mourait en loques et pieds nus.
Eternel et révoltant contraste entre le patriotisme à l’état pur et le mercantilisme le plus sordide ! Les marchands de Boston, libérés depuis les premiers combats, appliquèrent des hausses de mille à mille huit cents pourcent sur les tissus qui réclamaient les héroïques clochards du camp de Valley Forge !
Toute la guerre s’écoula sans que cesse cet état de choses et l’on vit même des fortunes s’écrouler à l’heure de la victoire, certains profiteurs trop avides ayant stocké des denrées dont subitement nul ne voulait plus.
Comme toujours aussi, paradoxalement, l’adresse et les circonstances permirent à certains chefs de corps de pouvoir leurs hommes de tout le nécessaire ; mais ils ne furent, hélas, que des exceptions.
Gregory J.W. URWIL a excellemment dépeint le combattant américain et sa misère profonde, non sans susciter d’inévitables réactions. Mais les témoignages émanant de témoins dignes de foi sont trop nombreux et trop éloquents pour pouvoir être écartés ; même si l’on en retire une part d’exagération toujours possible, voire probable, il est évident que jusqu’à la fin de la guerre, en 1783, de nombreux combattants manquèrent du strict nécessaire.
1780
Ce fut une année terrible, les désastres s’accumulèrent. Il y eut la trahison de Benedict Arnold, l’un des premiers généraux rebelles. Aigri de ne pas se voir récompensé selon ses mérites par le Congrès, Arnold avait tenté de livrer à l’ennemi la forteresse de West Point sur l’Hudson avant de passer au service de l’Angleterre.
Le complot échoua mais on imagine le retentissement qu’eut ce scandale. Sur le champ de bataille, les généraux Lincoln et Gates se faisaient battre : l’un capitulait à Charleston tandis que l’autre, le héros de Saratoga, était malmené à Camden.
Dans le Nord, l’ardeur patriotique fléchissait et le Congrès ne trouvait même plus de quoi payer la solde des troupes. Les Etats furent chargés de recruter et d’équiper des volontaires.
Ils alléchèrent les amateurs réticents par des primes d’engagement de plus en plus élevées. Ce dont profitèrent aussitôt les innombrables « Bounty Jumpers » - chasseurs de primes - qui coururent s’enrôler… pour déserter une fois la prime empochée et répéter l’opération dans les Etats voisins !
La même année, le Congrès émit 242 millions de dollars en billets de banque.
Un pactole dont la dépréciation rapide réduisit la paie annuelle du soldat de 80 à … 2 dollars 64 cents, soit 22 cents par mois ! La répugnance des fermiers à accepter le moindre billet en échange de leurs produits ne fit qu’augmenter le mécontentement. Des mutineries éclatèrent, qui se poursuivirent, malgré de sévères sanctions, jusqu’en 1781.
Le fait que Washington ait pu conserver une armée à travers tant de vicissitudes témoigne éloquemment du sens du devoir et du patriotisme de la plupart des combattants.
1781 - 1783
Dès Janvier 1781, il fut décidé de réduire l’infanterie de 80 à 60 régiments ; puis leur nombre descendit jusqu’à 50 en Octobre. Comme chaque régiment alignait 699 hommes, avec ses officiers, cela donnait un total de 34.950 fantassins… sur le papier tout au moins, car les effectifs réels restaient très au-dessous de ce chiffre.
Le général Greene, remplaçant de l’infortuné Gates dans le Sud, commandait une armée qui était censée compter 3.500 hommes mais se résumait en réalité à 1.500 soldats dont 949 seulement étaient des « continentaux » réguliers.
Les troupes françaises de Rochambeau, qui avaient débarqué en Septembre l’année précédente, reçurent des renforts, en Mai et se joignirent aux Américains sous le commandement de George Washington.
Les 10.000 soldats alliés, dont 4.000 Français, attaquèrent dans le Sud, obligeant le général CORNWALLIS à chercher refuge dans la ville de Yorktown avec 7.000 soldats et à capituler après une résistance vigoureuse.
Le 19 Octobre, les troupes britanniques défilèrent entre les rangs franco-américains tandis que la musique jouait « Le Monde sens dessus dessous ».
La guerre d’Indépendance était virtuellement terminée. Deux années s’écoulèrent encore, sans autres heurts sérieux. A Londres, la Chambres des communes, imposa à George III la cessation d’un conflit auquel le peuple était profondément hostile, et l’Angleterre, élégamment, ne marchanda pas la victoire à ces rustiques et enthousiastes soldats américains.
Des 88.840 uniformes commandés en 1779, seulement 10.000 parvinrent de France entre la fin de 1780 et le début de 1781.
En 1783, les premiers arrivages de tissu permirent d’appliquer cette mesure à quelques régiments, mais jamais l’infanterie tout entière n’apparut vêtue de la façon uniforme tant souhaitée. Le drap du fond de l’uniforme devint lui-même tellement rare qu’en 1783, Washington recommanda de retourner les habits trop usagés.
Les premiers régiments qui foulèrent les pavés de New York derrière leur glorieux commandant en chef ont été décrits par une jeune spectatrice : « Ils étaient mal vêtus, écrivit-elle, mais c’étaient nos troupes et, tandis que je les regardais en songeant à tout ce qu’ils avaient accompli et souffert pour nous, mon cœur et mes yeux pleuraient, et je les admirais et les glorifiais pour avoir été malmenés par les intempéries et abandonnés ».
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