Marquis Armand Tuffin de La Rouërie dit Colonel Armand
Marquis Armand Tuffin de La Rouërie dit Colonel Armand
La Bataille de Yorktown
Le 28 septembre, le Congrès donne l'ordre de faire le nécessaire pour que la Légion Armand soit reconstituée. Cependant lorsque La Rouërie rejoint sa légion, il ne peut que constater qu'elle a été « réduite à peu de chose ». Les Américains manquaient de cavalerie, aussi les dragons de la légion Armand ont été constamment sollicités, notamment par le général von Steuben. Intégrés dans la division de La Fayette, ils ont livré de nombreux combats, notamment la bataille de Greenspring Farm et la bataille de Guilford Court House. Les pertes ont été lourdes, le lieutenant-colonel de Ternant, ainsi que plusieurs autres soldats et officiers ont été faits prisonniers par les Britanniques, sans compter les morts, les blessés graves, les malades ou les hommes dont la durée d'engagement a pris fin. Les effectifs, forts de 200 dragons un an plus tôt, sont passés à 58 hommes.
Alors que les troupes françaises et américaines, dirigées par Washington, Rochambeau et La Fayette, marchent sur Yorktown, La Rouërie se trouve à Philadelphie, où il essaye de recruter de nouvelles troupes. Les vétérans de sa légion combattent toujours au sein de la division La Fayette. Mais le fait d'être écarté des opérations devient insupportable pour La Rouërie qui décide de rejoindre l'armée. Après deux semaines de voyage, il rejoint le camp franco-américain près de Yorktown, peu de jours avant le début du siège de cette ville.
Lorsque La Rouërie retrouve sa légion, il se rend compte que beaucoup de ses hommes ne sont plus en état de combattre, la plupart sont malades, l’un d’entre eux est même mourant. Le 14 octobre, La Rouërie se présente à Washington, il est conscient que ce dernier a d'autres affaires plus urgentes que la refonte de sa légion, mais il lui fait savoir qu'il souhaite donner sa contribution au siège, même avec le peu d'hommes qu'il lui reste, afin de donner une « nouvelle preuve de son dévouement ».
Pour prendre Yorktown, les Français et les Américains doivent d'abord prendre les deux redoutes qui sont les principaux éléments défensifs de la ville. Il faut toutefois que les deux soient prises lors de la même offensive, sinon les Anglais n'auront aucun mal à reprendre l'autre. Il est décidé que les Français et les Américains attaqueront chacun une redoute. Du côté français l'attaque est dirigée par Antoine Charles du Houx de Vioménil, mais les troupes qui composaient le fer de lance de l'attaque sont commandées par le lieutenant-colonel Guillaume de Deux-Pont, secondé par le baron de l'Estrade. Pour la seconde redoute, située à gauche, c'était le marquis de La Fayette qui dirige l'attaque pour les Américains, le commandement de l'offensive est échu au colonel Alexander Hamilton, secondé par le colonel de Gimat, l'ancien aide de camp de La Fayette, et le colonel John Laurens. L'attaque est prévue pour 11 heures du soir.
Dans l'après-midi, quelques heures avant l'attaque, le colonel La Rouërie va trouver le général Washington et lui demande la permission et l'honneur de participer à titre individuel à l'assaut des redoutes, sans exercer de commandement et accompagné de seulement quelques-uns de ses officiers. Washington lui donne son accord.
L'attaque, de nuit, est couronnée de succès, les Américains s'emparent de leur redoute plus rapidement encore que les Français. Lors du combat, La Rouërie est parmi les premiers à pénétrer dans la redoute américaine.
« Qu'on me permette la satisfaction d'exprimer les obligations que nous avons au colonel Armand, au capitaine Legouge, au chevalier de Fontevieux et au capitaine Bedkin, officier de son corps, qui, combattant à cette occasion comme volontaires, ont marché à la tête de la colonne de droite et, entrant parmi les premiers dans la redoute, ont contribué par l'exemple de leur vaillance au succès de l'entreprise. »
La victoire franco-américaine à Yorktown est décisive. Lorsque la nouvelle arrive à Londres, le gouvernement dirigé par les Tories chute et le Parti whig arrive au pouvoir. Celui-ci, plus libéral était favorable à la paix avec les Américains.
Cantonnements à Charlottesville et York
La victoire de Yorktown ne met pas fin immédiatement à la guerre mais les affrontements se raréfient et se limitent à quelques escarmouches. La Rouërie s'emploie alors à reconstituer sa légion. Washington, pour le récompenser de sa conduite à Yorktown, l'autorise à recruter 50 soldats américains de son choix pour renforcer sa troupe. La légion Armand prend ses quartiers à Charlottesville et y reste six mois, aussi La Rouërie s'attèle principalement à des tâches d'intendance. Surtout, il cherche à se procurer de l'argent pour le recrutement, à demander des chevaux, une soixantaine étant morts de maladie, et à essayer d'obtenir la libération de prisonniers de son corps aux mains des Britanniques.
« Six de mes officiers sont prisonniers. J'ai demandé à l'amiral de Grasse, qui détient les prisonniers ennemis, de faire un échange. Il me dit qu'il est bien d'accord mais qu'il ne peut le faire sans le vôtre et celui du comte de Rochambeau. »
Finalement, à la suite d'un échange de prisonniers, La Rouërie peut récupérer le lieutenant-colonel de Ternant et les capitaines Le Brun de Bellecour et Bert de Majan. Il ne peut toutefois recevoir de chevaux, ses vues concernant l'utilité de la cavalerie différaient toujours de celles de Washington qui la considérait comme secondaire. Washington songe un moment envoyer la légion Armand au sud, mais il se heurte encore à l'opposition de son colonel, La Rouërie estime qu'elle n’est pas encore suffisamment équipée. Finalement, comme les troupes anglaises se décident à réembarquer pour la Grande-Bretagne, le colonel Armand obtient de rester à Charlottesville. Le temps passant, La Rouërie finit par reconstitue sa légion au bout de quelques mois.
« Le seul étranger qui nous visita pendant notre séjour à Monticello fut le colonel Armand. [...] On sait qu'il passa en France l'année dernière avec le colonel Laurens ; il en est revenu assez tôt pour se trouver au siège de Yorktown, où il a marché comme volontaire à l'attaque des redoutes. L'objet de son voyage était d'acheter en France un habillement et un équipement complet pour une légion, qu'il avait déjà commandée mais qui avait été détruite dans les campagnes du Sud, et qu'il fallait former de nouveau. Il en a fait l'avance au Congrès, qui s'est engagé à fournir les hommes et les chevaux. Charlottesville, petite ville naissante, située dans une vallée à deux lieues de Monticello, est le quartier qu'on a assigné pour l'assemblement de cette légion »
La Rouërie invite à son tour Jefferson et Chastellux à Charlottesville, celui-ci note :
« Je m'y rendis avec M. Jefferson et je trouvai la légion sous les armes. Elle doit être composée de deux cents chevaux et de cent cinquante hommes d'infanterie. La cavalerie était presque complète et assez bien montée ; l'infanterie était encore très faible, mais le tout était bien habillé, bien armé, et avait très bon air. Je dînais chez le colonel Armand avec tous les officiers de son régiment et avec son loup ; car il s'est amusé à élever un loup qui a maintenant dix mois, et qui est aussi familier, aussi doux et aussi gai qu'un jeune chien ; il ne quitte pas son maître, et il a même le privilège de partager son lit »
Cependant en juin 1782, La Rouërie quitte la Virginie, après six mois à Charlottesville. Il reçoit l'ordre de s'établir avec sa troupe à York, en Pennsylvanie. Le quotidien n’est pas aussi tranquille qu'à Charlottesville, le docteur John Gottlieb Morris, chirurgien de la légion Armand, écrit ainsi dans son journal :
« 9 octobre. Nous arrivons à Winchester. Les habitants ne nous aiment pas. Le capitaine Bedkin se bagarre avec quelques-uns d'entre eux à la taverne.
28 octobre. Nous offrons un bal aux habitants pour les inciter à nous procurer nos quartiers d'hiver. Ils refusent. Des tracas s'ensuivent.
11 décembre. Le général Morgan vient nous voir. Combat d'exercice, puis bal.
15 décembre. Le colonel Armand et le major Schaffner jouent et perdent gros.
22 décembre. Nous arrivons à Frederickstown. Le colonel Armand se bat en duel avec M. Snikers, un Virginien.
25 décembre. Enfin York. Personne ne veut de moi avec tous mes soldats malades. Le capitaine Sharp et le lieutenant Riedel se battent en duel. »
En manque de combats, La Rouërie redevient quelque peu querelleur, le , il provoque le capitaine Snikers en duel. Il semble que les causes de la dispute soient liées à une publication où Snikers aurait écrit contre La Rouërie. Le duel a lieu le 22 décembre, mais aucun des duellistes n’est blessé.
Promotion au grade de Général
Au début de 1783, le colonel Armand sert toujours dans l'armée américaine. Arrivé parmi les premiers en Amérique, La Rouërie est l'un des derniers Français à repartir. Le corps expéditionnaire français a rembarqué pour la France à la fin de l'année 1782 et La Fayette était reparti peu de temps après le siège de Yorktown.
La Rouërie fréquente la société de Philadelphie, il est notamment devenu l'ami du couple Craig. Mme Craig lui présente le peintre Charles Willson Peale qui, à la demande de celle-ci réalise par la suite le portrait du colonel Armand.
Le , La Rouërie reçoit enfin la récompense qu'il attendait depuis longtemps. Il est promu, par le Congrès, au grade de brigadier-général. Cette promotion avait été demandée par Washington dans une lettre qu'il adressa au président du Congrès, le .
Aussi, Benjamin Lincoln, secrétaire de la guerre écrivit à La Rouërie :
« Mon cher Monsieur,
J'ai le plaisir de vous annoncer votre promotion au grade de brigadier général au service des États-Unis d'Amérique et de vous envoyer ci-inclus votre commission.
Permettez-moi de vous féliciter pour cet événement et pour les circonstances très honorables dans lesquelles votre mérite et vos services vous ont procuré cette promotion.
J'ai seulement à me plaindre que ce témoignage de la confiance que le Congrès met dans votre intelligence, dans votre zèle et votre bravoure ait été différé comme il l'a été réellement pendant quelque temps par les affaires urgentes et importantes qui l'ont occupé.
J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute estime, mon cher Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur. »
On songe alors à la constitution de forces armées en temps paix, La Rouërie est invité par le Congrès à donner son avis sur la composition de la cavalerie. Dans sa réponse écrite à Washington, La Rouërie se propose à continuer son service dans l'armée américaine, il recommande le lieutenant-colonel de Ternant pour prendre la tête de son ancienne légion qui est passée à 340 soldats parfaitement bien disciplinés, il souligne également dans cette lettre « son attachement à Votre Excellence et à la forme du gouvernement républicain », lui qui par la suite, devait devenir un des chefs de la contre-révolution en France.
Le , la légion Armand est licenciée sur décision du commandement. Malgré quelques regrets, La Rouërie s'y plie. Il s'occupe alors avec ses officiers à régler la liquidation du corps et à délivrer des certificats pour les soldats ayant servi dans la légion.
Le 25 novembre, les soldats de la légion Armand défilent pour la dernière fois à Philadelphie devant le général Washington. Le 29 novembre La Rouërie écrit à celui-ci :
« Il est impossible d'exprimer cette scène de tristesse, les officiers et les soldats en larmes, venant tous me trouver pour dire leur chagrin de la séparation ; même les hommes qui avaient encouru des punitions demandant à leurs officiers de leur pardonner ; et toute la troupe me jurant de me retrouver si jamais on avait à nouveau besoin de nos services dans ce pays… »
La Rouërie règle ses dernières affaires avant de repartir pour la France. Il souhaite continuer sa carrière dans l'armée royale. Aussi il écrit à Washington pour être recommandé, par son intermédiaire, au comte de Rochambeau afin qu'il l'aide à bénéficier d'une promotion dans l'armée française.
La Rouërie reçoit de nombreuses lettres de remerciements, témoignages de nombreuses marques d’estime : Benjamin Lincoln, général américain et secrétaire à la Guerre, Thomas Mifflin, président du Congrès les habitants de York, où sa troupe avait été cantonnée, les officiers de sa légion dans une lettre qui lui fut remise la veille de son départ pour la France.
« Mon cher Marquis,
Parmi les dernières actions de ma vie comme homme public, il n'y en a point qui me donne plus de plaisir que celle qui me met à portée de reconnaître les secours que j'ai reçus de la part de ces hommes honorables que j'ai eu l'honneur de commander et dont les démarches et la conduite ont tant contribué à la sûreté et à la liberté de mon pays.
Je ne puis m'empêcher, en vous mettant au nombre de ces braves guerriers, de reconnaître que je vous dois les remerciements les plus vifs et les plus sincères pour le grand zèle, l'intelligence et la bravoure que vous avez rendus et où vous vous êtes si fort distingué.
Il m'est impossible de vous rappeler dans cet instant toutes les circonstances particulières dans lesquelles vous vous êtes signalé.
Votre conduite à l'action de Short Hills où, sur quatre-vingts hommes, vous en avez eu trente de tués et où vous avez sauvé une pièce d'artillerie qui, sans votre grand courage, aurait été prise par l'ennemi ; votre conduite à la Tête-d'Elk où vous commandiez l'arrière-garde dans la retraite ; votre conduite dans les actions de Brandywine et de White Marsh, et surtout lorsque vous étiez sous le commandement de La Fayette et que, second par le commandement, avec la milice et quelques chasseurs vous attaquâtes avec succès l'arrière-garde de lord Cornwallis ; votre conduite, dis-je, dans ces circonstances, en vous faisant un honneur infini, a été d'un avantage singulier pour le pays.
Mais, parmi tous les services que vous avez rendus, toutes les actions que vous avez faite, il ne faut pas que j'oublie le beau coup de partisan que vous fîtes en Westchester où, avec toute l'adresse et la bravoure d'un officier partisan consommé, vous suprîtes un major et quelques soldats de l'ennemi dans des quartiers à une distance considérable de leurs piquets et les amenâtes sans la perte d'un seul homme de votre côté.
Quoique je n'aie pas eu l'occasion d'être témoin de votre conduite en 1780 où vous vous trouviez au sud, les détails que j'en ai reçus n'ont pas diminué l'opinion que j'avais de vous auparavant ; et l'année d'ensuite, je vous eus une obligation particulière pour la conduite courageuse que vous montrâtes en devenant volontaire et en allant sous ce caractère à la tête de la colonne attaquer et livrer l'assaut à la redoute de Yorktown.
Pendant que je vous donne ce dernier témoignage public de mon approbation et de mon contentement, je vous prie de croire que rien ne me donnerait plus de satisfaction que d'avoir en mon pouvoir de vous donner des preuves plus solides de l'amitié et de l'estime avec lesquelles j'ai l'honneur d'être, mon cher Marquis, votre très humble et très obéissant serviteur. »
Après avoir fini de régler le licenciement de sa légion, La Rouërie s'embarque pour la France lors du printemps de l'année 1784 et quitte définitivement l'Amérique.
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